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Dérive génétique

L'allèle plumes frisées est dominant, pourquoi toutes les Poules ne sont-elles pas frisées?

L'allèle plumes frisées est dominant, pourquoi toutes les Poules ne sont-elles pas frisées?

Pourquoi toutes les Poules ne sont-elles pas frisées?

"La mutation plumes frisées est dominante chez les Poules" avais-je dit en montrant une photographie à mes étudiants et l'un deux m'avait posé la question : "mais alors pourquoi toutes les Poules n'ont-elles pas les plumes frisées ?" La question est logique lorsque l'on vient de terminer un cours de génétique. Chaque fois que l'on croise un homozygote dominant avec un homozygote récessif tous les descendants sont de phénotype dominant : toutes les poules sont frisées. Mais si par "toutes les Poules" on désigne les Poules des basse-cours de France et d'ailleurs, il ne s'agit plus d'un couple mais des millions qui constituent l’espèce. En utilisant les lois de la génétique mendélienne, on démontre que dans un ensemble d'individus où la rencontre des gamètes se fait au hasard la fréquence des allèles ne change pas d'une génération à l'autre. L'apparition d'une mutation étant rare, l’allèle plumes frisées sera et restera rare et les Poules ne seront pas toutes frisées.

Cette démonstration est à son tour gênante car elle gomme toute possibilité d'évolution. Elle n'est cependant valable que dans les conditions où nous l'avons définie. Si l'un des allèles confère un avantage à celui qui le porte alors sa fréquence va augmenter : nous sommes dans le cas de la sélection naturelle. Dans les conditions naturelles la rencontre des gamètes se fait-elle vraiment au hasard ? Oui si l'effectif des individus qui se reproduisent entre eux (on parle de population) est grand et si la répartition des allèles est homogène. Toute situation qui perturbera ces deux dernières conditions modifiera les proportions des gamètes à la génération n+1 sans que la sélection naturelle intervienne : c'est la dérive génétique.

Dérive génétique, un exemple théorique

Pour mieux comprendre prenons un exemple. Soit une classe de trente deux élèves dans laquelle huit ont les yeux bleus, sept filles et un garçon. Par manque de place il nous faut envoyer huit élèves tirés au sort à la vie scolaire. L'un des tirages au sort pourra nous donner huit élèves aux yeux bleus. La fréquence de l'allèle récessif yeux bleus est de 100 % dans ce groupe alors qu'il de l'était pas dans la classe entière. Si nous avions abandonné ces élèves sur une île déserte et non à la vie scolaire vous devinez ce qui se serait passé. Quelques dizaine d'années plus tard tous les habitants de l'île auraient eu les yeux bleus !

Dérive génétique dans l'espèce humaine : Huttérites et Amish

Après cet exemple très théorique passons à un cas bien réel. Les Huttérites sont les membres d'une secte qui, persécutés en Europe, se sont installés en Amérique du Nord au dix-neuvième siècle. Comme les Amish, ils ont établi une série de colonies d'une centaine d'individus dans lesquelles ils vivent en autarcie sans se marier avec les personnes étrangères. Mc Lellan et ses collaborateurs y ont étudié la fréquence de certains allèles des groupes sanguins et du système de compatibilité tissulaire HLA .

Fréquence en % de quelques allèles des gènes des groupes tissulaires HLA et des groupes sanguins des systèmes ABO et Kell (Mc Lellan et al. 1987)
  HLA Groupes sanguins
  A10 A11 A28 B5 B12 A B K
Europe, USA 3 à 5 4,5 à 7,4 2 à 4 4 à 8 9 à 18 25 à 32 6 à 14.5 3 à 5
Huttérites 14 0 0 14 8 35 2 14
Amish 7 14 0,7 6 19 66 6,5 0,2

Amish et Huttérites présentent des fréquences qui sont très différentes des moyennes constatées dans les populations européennes et nord américaines. Cela provient du fait que chaque colonie a été fondée à partir d'un petit nombre d'individus dont les fréquences des allèles étaient très différentes des fréquences moyennes des populations européennes dont ils sont issus. Dans le détail,  il existe même des différences entre colonies. C'est le tirage au sort "yeux bleus" de l'exemple précédent.  Les Mormons, autre groupe religieux d'Amérique du Nord, ne présentent aucune originalité de fréquences de leurs allèles. Celles-ci sont statistiquement identiques à celles des Américains blancs et des Européens. Leur communauté a été créée à partir d'un grand nombre d'individus puisque 80 000 Mormons nord américains persécutés s'installèrent dans l'Utah entre 1847 et 1860 suivis de dizaines de milliers de colons en provenance d'Europe.

Dérive génétique chez les Drosophiles : Les Mouches colombiennes

Variation géographique de deux gènes enzymatiques (Ptérine-8 et Xanthine déhydrogénase) du chromosome II de Drosophila pseudoobscura (Prakash, 1969).
Allèle Californie Mesa Verde Texas Bogota
  Ptérine-8
 A 1,4  0,9  1,1  87
B  47,2  41  44,1  10
 C  51,4  57,6  51,2  3
 D  0  0,5  3,5  0
  Xanthine déhydrogénase
 A  5,3 1,6  1,8  0
 B  7.4  7,3  3,6  0
C 26,3  30  23,2  0
D  60  58  66,1  100
 E  1  3,2  5,3  0

 Très fréquente en Amérique du nord Drosophila pseudoobscura est rare en Amérique du sud. Les trois populations états-uniennes sont génétiquement proches pour les différents allèles des enzymes Ptérine-8 et Xanthine déhydrogénase. Par contre la population colombienne de Bogota est très originale ne possédant même qu'un seul allèle de la Xanthine déhydrogénase. Comment expliquer cette originalité? Comme pour les populations humaines dont nous avons parlé plus haut, la population de Mouches de Bogota descend sans doute d'un petit nombre d'individus ayant migré accidentellement d'Amérique du nord ne transportant avec eux qu'une partie de la diversité génétique des populations de nord. C'est que l'on appelle l'effet fondateur. La migration est récessante. Pourquoi? Parce que la population colombienne ne contient pas d'allèle qui lui soit propre. Le temps passant, il se produira certainement dans cette population des mutations qui n'existeront pas en Amérique du nord. La diversité génétique se mettra alors à augmenter et la fondation de la population apparaitra finalement comme une sorte de goulot d'étranglement de la diversité.

L'effet fondateur et la dérive génétique en général ont un effet singulier sur les allèles rares. L'allèle A de la Ptérine-8 est rare en Amérique du nord. Le hasard d’échantillonnage de la migration a fait qu'il est prépondérant en Bolivie.

Dérive génétique et sélection naturelle.

Evolution de la fréquence des chromosomes PP dans des colonies issues de grandes populations ou de petites populations)

Evolution de la fréquence des chromosomes PP dans des colonies issues de 4000 individus (Grandes populations) ou de 20 individus (Petites populations)

Paysage adaptatif : pour Sewall Wright, dérive génétique et sélection naturelle sont complémentaires

Paysage adaptatif : pour Sewall Wright, dérive génétique et sélection naturelle sont complémentaires, explications dans le texte.

Dobzhansky et Pavlovsky ont réalisé en 1957, une série d'expériences qui montre le devenir de populations suivant qu'elles sont issues d'un petit nombre d'individus ou d'un grand nombre. Ils croisent des drosophiles Drosophila pseudoobscura issues de deux populations l'une provenant du Texas et portant la mutation chromosomique PP sur le chromosome 3 et l'autre provenant de Californie et portant la mutation AR sur le même chromosome. Les hybrides F1 obtenus possèdent les deux types de chromosomes. Leur descendants F2 sont utilisés pour fonder des colonies d'effectifs initiaux différents : 10 colonies de 4000 individus et 10 colonies de 20 individus. Ces colonies sont élevées dans des conditions rigoureusement identiques et leur effectif varie entre 1000 et 4000 individus. La fréquence des deux mutations est suivie pendant un peu plus de un an soit 19 générations. A la fin des expériences on constate que la fréquence de l’allèle PP est différent d'une colonie à l'autre. Cependant la fréquence varie beaucoup plus chez les colonies issues de 20 individus (16 à 47 %) que chez les colonies issues de 4000 individus (20 à 35 %). Ces expériences sont classiquement utilisées pour illustrer la dérive génétique. L'interprétation qu'en font les auteurs est un peu plus subtile. En effet ils ont constaté que le phénomène ne se produit pas si l'on croise des individus issus de la même région soit la Californie soit le Texas. Il dépend donc de l'environnement génétique dans lequel se trouve les mutations. Si la fréquence de la mutation PP a varié c'est qu'elle n'a pas le même avantage sélectif dans toutes les populations, pourtant les conditions de milieu sont restées les mêmes pour toutes les colonies. Ce qui est différent, nous l'avons dit, c'est l'environnement génétique dans lequel se trouvent la mutation. Les hybrides F1 sont hybrides pour PP et AR mais aussi pour beaucoup d'autres gènes. Manifestement les colonies issues de 20 individus ont un génome très différent d'une colonie à l'autre d'où un avantage sélectif pour PP lui aussi très différent. Les colonies issues de 4000 individus sont plus semblables et l'avantage sélectif de PP moins variable. Si vous faites des séries de lancer d'une pièce de monnaie, vous constaterez que dans les séries de 10 lancers le nombre de fois où le côte face sort est bien plus variable que si vous faîtes des séries de 100 lancers. Pour Dobzhansky et Pavlovsky ces expériences mettent en évidence à la fois les effets de la dérive génétique et les effets de la sélection naturelle.

Pour Sewall Wright, inventeur du concept de dérive génétique, celle ci n'est pas antinomique de le sélection naturelle, bien au contraire. Pour le faire comprendre il imagine un paysage vallonné. Les collines représentent des assemblages génétiques adaptés au milieu. Ces assemblages peuvent être réalisés par des espèces ou simplement potentiels et non réalisés. La sélection naturelle (flèches vertes) maintient les espèces (1) sur  le sommet des collines. Comment passer d'une colline à une autre? Pour Wright c'est la dérive génétique (flèches rouges) qui le permet en faisant descendre les assemblages génétiques du sommet des collines dans les vallées(2 et 3). Au fil des dérives et de l'accumulation de nouvelles mutations, certaines populations arrivent au pied de nouvelles collines. La sélection naturelle prend alors les choses en main (4) jusqu'à mener le génome au sommet d'une colline (5).

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créée le : 14-04-2013     mise à jour le : 23-03-2016     6355 visites depuis le 3/08/2021
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