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Présumés coupables

La recherche des phénomènes responsables des crises de le biodiversité ressemble à une enquête criminelle. Le coupable devait être présent sur les lieux à l'heure du crime et être capable de tuer la victime. Après avoir identifié un suspect nous pourrons reconstituer le crime. L'examen attentif des scènes de crime et des indices qu'elles recèlent, nous a permis d'identifier plusieurs suspects qui pourraient se révéler des tueurs en série : les météorites géantes, les variations du niveau de la mer, les grandes provinces ignées. Passons aux interrogatoires.

Les grandes provinces ignées.

Ces régions sont essentiellement constituées de coulées de basalte qui s'étendent sur plus de 100 000 km2. L'épanchement de lave d'au moins 100 000 km3 s'est fait au milieu d'une plaque sur une courte période (de 1 à 5 millions d'années) à la surface d'un continent ou sous un océan[6]. On donne aussi le nom de Trapps aux provinces ignées continentales. En Inde, les trapps du Deccan devaient recouvrir une surface de 1,8 millions de km2 avant leur érosion, soit près de deux fois la surface de la France. Les coulées épaisses de 25 à 30 m s'empilent sur une épaisseur de 1 500 m ce qui représente un volume de lave émis de 2,5 millions de km3. Certaines coulées ont une longueur de 1 000 km et un volume de 10 000 km3. Le lac de lave d'où s'échappaient ces coulées mesurait 100 km de diamètre et était profond d'une centaine de mètres [8]. Mais la province ignée la plus gigantesque se trouve au fond de l'Océan pacifique au large de l'île de Java. La lave s'est répandue sur une surface de plus de 4 millions de km2 et une épaisseur de 13 km soit un volume de plus de 50 millions de km3 [7] (14 fois le volume de la Mer méditerranée!).

Cherchez les coupables : Les Grandes Provinces Ignées, contours probables avant érosion.

Cherchez les coupables : Les Grandes Provinces Ignées, contours probables avant érosion.

Comme on le voit les grandes provinces ignées sont contemporaines de presque toutes les grandes crises de la biodiversité. Seule la crise Ordovicien-silurien est associée à une "minuscule" province. Elles seraient même contemporaines de beaucoup de crises mineures, elles seraient de véritables "serial killer" [5]. Mais comment ont-elles pu agir sur la biodiversité au point de l'exterminer?

Leur action principale est la production de poussières, de gaz à effet de serre : SO2, et CO2 et de gaz détruisant la couche d'ozone : oxydes d'azote, fluor et composés organo-fluorés. Le CO2 est produit directement par les gaz volcaniques et indirectemnet par le métamorphisme de contact des roches carbonatées et carbonées de la croûte terrestre. C'est de cette façon que les Trapps de Sibérie ont pu injecter 100 000 Gt de CO2 dans l'atmosphère en 500 000 ans à la fin du Permien [14] à mettre en perspective avec les 400 GT injectés par l'espèce humaine en 250 ans [17]. Au rythme actuel, notre production est 50 fois plus rapide. Du jamais vu même pendant la pire crise biologique de l'histoire de la vie, on réalise dans quel pétrin nous sommes et combien il est important de comprendre les mécanismes des crises biologiques du passé.

effets trapps de Sibèrie

Effets des Trapps de Sibérie

A chaque méga éruption, les poussières obscurcissaient l'atmosphère jusqu'à faire régner une quasi obscurité, interrompant la photosynthèse. Le SO2 était transformé en sulfates empêchant le rayonnement solaire de parvenir dans la basse atmosphère. Poussières et sulfates provoquaient une baisse de la température qui pouvait être de 10°. Leur effet était bref de l'ordre de quelques années [16]. Puis ils se dissipaient, les poussières tombant au sol et les sulfates se dispersant lors de pluies acides. L'atmosphère se réchauffait ensuite sous l'effet du CO2 injecté et ce jusqu'à la surchauffe pendant plusieurs millénaires. L'érosion des roches basaltiques accrue par le réchauffement global entrait en jeu pour faire diminuer la concentration atmosphérique du CO2 et abaisser simultanément la température. Et ce Yoyo de la température se reproduisait à la méga éruption suivante quelques millénaires plus tard [2][13][3].

Les variations du niveau de la mer.

Le niveau de la mer a fortement varié au cours de l'histoire de la Terre au gré des régressions (baisse du niveau de la mer) ou des transgressions (hausse du niveau de la mer). La formation d'une calotte polaire fait baisser le niveau des océans, sa fonte le fait monter. Si toute la glace des pôles fondait, le niveau de la mer monterait de 90 m ce qui est insuffisant pour expliquer les 200 m du Crétacé. D'autres phénomènes interviennent mais sont encore mal compris. Les variations à long terme seraient dues à l'activité des dorsales, aux ouvertures et fermetures des océans ou à la formation de Grandes Provinces Ignées sous-marines. Des cycles astronomiques provoqueraient les variations à court terme.

Cherchez les coupables : Les variations du niveau de la mer

Cherchez les coupables : Les variations du niveau de la mer [16]. Courbe bleue variations à long terme, courbes noires et encadrés variations à court terme.

Quoi qu'il en soit la courbe ci-dessus montre que les crises majeures sont associées à une diminution du niveau des mer sur le long terme. La relation avec les variations à court terme est moins évidente sauf pour la crise de l'Ordovicien Silurien et la crise du Dévonien supérieur.

effets d'une régression marine

Effets d'une régression marine

Comment une régression peut-elle diminuer la biodiversité? Le plateau continental s'étend sur le bord des continents jusqu'à une profondeur de 300 m. Sa superficie n'est que de 7 % de la superficie totale des océans mais il héberge la majorité de la biodiversité marine [17]. Une régression réduit sa surface et va donc en diminuer la biodiversité et par la même la biodiversité de l'océan. Les collisions continentales donnant naissance aux chaînes de montagne et la formation de la Pangée agissent également sur la biodiversité en diminuant la surface du plateau par raccourcissement de la ligne de côte. La crise du Permo-Trias se produit lorsque la ligne de côte est à son minimum par formation de la Pangée et lorsque le niveau marin est au plus bas.

Lors d'une régression, des mers peu profondes sont isolées de l'océan. L'évaporation les assèche provoquant des dépôts de sels sur les continents et parallèlement une baisse de la salinité de l'océan global. Les animaux marins, comme les Céphalopodes ou les Échinodermes, qui ne supportent pas les variations de la salinité sont exterminés.

Enfin une niveau marin plus bas accroît l'érosion des continents et par voie de conséquence l'apport de sels minéraux dans les océans. La production de biomasse augmente et avec elle la consommation d'oxygène nécessaire à sa décomposition. La concentration en oxygène des océans baisse dangereusement et atteint zéro dans certaines zones : c'est l'anoxie fatale. Actuellement les zones d'anoxie sont rares mais pendant la crise du Permo-Trias on estime qu'elles occupaient 17 à 60 % de la surface des plateaux continentaux.

La vie est-elle plus belle sur les continents? Oui, mais la disparition de nombreuses îles met en contact des espèces jusque là isolées. La compétition est alors rude et provoque des extinctions.

Impacts de météorites géants

Les impacts de météorites ont fait le bonheur des superproductions hollywoodiennes. Les cinéastes américains ont détruit New-York, Paris, Los-Angeles dans des apocalypses d'effets spéciaux. Nous n'avons pas non plus boudé ce plaisir dans l'introduction des crises de la biodiversité. Il est temps d'examiner cela avec un peu plus de rigueur scientifique.

Comment sait-on que l'énergie était de 7.76 1023 j ? En appliquant l'équation de l'énergie cinétique E = ½ m V2

La température de 30 000° est déduite de l'énergie dégagée par l'impact. Elle provoque la vaporisation de la matière du météorite (vaporisation de l'iridium à 4527°) et de la croûte (vaporisation du zirconium à 4400°). Dans les roches qui ont "seulement" fondu, même les zircons qui sont les minéraux les plus résistants se sont liquéfiés ce qui indique une température d'au moins 2700°.

Dans les roches fracturées la stishovite a remplacé le quartz ce qui se produit à une pression supérieure à 400 kilobars (40 gigapascals).

Enfin les simulations numériques permettent de compléter scénario et décor ou d'estimer, par exemple, la relation diamètre du météorite diamètre du cratère.

Sur la Lune, les impacts de météorites laissent de superbes cratères. Malheureusement sur la Terre l'érosion fait son œuvre et seuls les cratères récents comme le Meteor Crater sont encore visibles. Heureusement des indices persistent. Sur les lieux de l'impact d'abord. Les produits éjectés sont retombés dans et autour du cratère et constituent des brèches contenant des éléments caractéristiques : stishovite et éléments fondus. Les roches portent des fractures caractéristiques : les cônes de percussion.

Iridium et magnétites nickélifères à la limite Crétacé Paléocène, stratotype de limite du Danien à El Kef, Tunisie.

Iridium et magnétites nickélifères à la limite Crétacé Paléocène, stratotype de limite du Danien à El Kef, Tunisie [6].

A une distance importante du cratère d'autres signatures sont visibles :

  • Les quartz choqués : ils sont le résultat d'une très grande pression appliquée un temps très court sur les cristaux de quartz de l'écorce terrestre et contiennent des plans de clivage caractéristiques. Ils ont d'abord été découverts lors des explosions nucléaires souterraines, puis on a montré qu'ils étaient associés aux impacts des météorites. Ils peuvent cependant se former lors d'explosions volcaniques très violentes.
  • L'Iridium : ce métal de transition proche du platine est quasiment absent des roches de la croûte terrestre mais il est présent dans les météorites. Cependant il est aussi contenu dans les basaltes des points chauds.
  • Les magnétites nickélifères se présentent sous forme de petits minéraux microscopiques en forme d'octaèdres ou de dendrites. Ils se forment lors de la fusion d'une roche où le nickel est abondant dans un environnement riche en oxygène. Ils sont caractéristiques du passage d'une météorite surchauffée à travers l'atmosphère terrestre. C'est une signature exclusive d'un impact de météorite car les roches volcaniques sont pauvres en nickel.
  • Finalement combien de météorites ont été identifiés sur les lieux des crimes? Très peu, puisque seule la crise Crétacé Paléocène a pu être liée sans ambiguïté à un impact de météorite. Mais quel météorite? Le météorite du Chicxulub dans le Yucatan (Mexique) est un bon candidat. Caché sous plus d'un kilomètre de sédiments il est âgé de 66 millions d'années et a creusé un cratère de 100 km de diamètre : le suspect idéal. Mais des datations récentes pourraient remettre en cause son implication. Il serait tombé 300 000 ans trop tôt et serait trop petit [9]. Mais alors qui serait tombé à la limite Crétacé Paléocène?

    D'autres météorites pourraient faire la une d'un journal :

    « La bande des cinq innocentée par la datation absolue, ils n'étaient pas sur le lieu du crime! »

    « On soupçonnaient 5 météorites d'être responsables de l'extermination de 75% des espèces par leur chute simultanée à la limite Trias Jurassique il y a 201,58 Ma. Ils ont été innocentés par la datation absolue :
    Manicouagan (100 km, 215.56 ± 0.05 Ma, Canada),
    Rochechouart (50 km, 206.92 ± 0.20 Ma, France),
    Lake Saint Martin (40 km, 227.8 ± 0.9 Ma, Canada ),
    Puchezh-Katunki (40–80 km, 192.0 ± 0.8 Ma, Russie),
    Obolon (20 km, moins de 185 Ma, Ukraine).

    Ils ont été retirés de la liste des suspects » [4]

    Variations climatiques

    A cours de son histoire la Terre a connu une succession de périodes froides et de périodes chaudes. Au cours des périodes froides, une calotte glaciaire est installée sur les continents aux pôles. Au contraire au cours des périodes chaudes les calottes glaciaires disparaissent totalement. Nous sommes actuellement dans une période froide. Au Crétacé la planète était dans une période chaude et la température moyenne du globe était supérieure de 8° à ce qu'elle est actuellement.

    Évolution de la biodiversité des Invertébrés benthiques pour 3 continents au cours de l'Ordovicien et du Silurien.

    Évolution de la biodiversité des Invertébrés benthiques pour 3 continents au cours de l'Ordovicien et du Silurien [12].

    Dans la nature actuelle la biodiversité est plus élevée dans la zone intertropicale. Il semble qu'il en ait été de même pendant toutes les périodes froides qu'a connues la Terre. En période chaude le maximum est moins net et peu même se trouver en dehors de la zone intertropicale [11][12]. Que se passe-t-il lorsque l'on passe d'une période chaude à une période froide? Le cas a été étudié lors du passage de l'Ordovicien au Silurien [10]. L'Ordovicien est une période chaude mais dans sa deuxième moitié la température s'abaisse à tel point qu'une calotte glaciaire se forme au pôle sud. La Terre bascule en période froide. La crise Ordovicien-Silurien se situe au paroxysme du développement de la calotte polaire. Trois continents sont idéalement situés: la Laurentia est sous l'équateur, la Baltica et l'Avalonia sont dans l'hémisphère sud respectivement 30° et 50° de latitude. Pendant la période chaude la biodiversite des latitudes élevées est proche de celle de l'équateur. Pendant la crise ce sont les diversités des latitudes élevées qui s'effondrent, c'est là que l'abaissement des températures se fait le plus durement sentir. Certains Trilobites adaptés aux eaux chaudes sont exterminés. A l'équateur la crise climatique semble ne pas avoir eu d'effet. Une étude détaillée montre que les extinctions y ont été tout aussi fortes qu'ailleurs mais les pertes ont été compensées par des migrations en provenance des latitudes élevées. La zone intertropicale a servi de zone refuge. Au final l'écart de biodiversité avec les latitudes élevées s'est creusé ce qui est caractéristique d'une période froide.

    L'immobilisation d'une grande quantité d'eau sous forme de glace sur un continent provoque d'une baisse du niveau de la mer, environ 70 m à la fin de l'Ordovicien. La régression qui accompagne toujours la formation d'une calotte glaciaire est source d'extinction.

    Mouvement des masses continentales

    Effet de la collision sur la longueur de la ligne de côte des continents et sur le climat. En bleu clair climat humide (influence océanique), en orange climat sec.

    Effet de la collision sur la longueur de la ligne de côte des continents et sur le climat. En bleu clair climat humide (influence océanique), en orange climat sec.

    La collision continentale a plusieurs conséquences. D'une part elle diminue la longueur de la ligne de côte et donc la surface du plateau continental ce qui est une source de diminution de la biodiversité marine; d'autre part la partie centrale du continent se trouve plus éloignée de l'océan, les pluies ont plus de mal à y parvenir ce qui accroit la surface des zones désertiques et diminue la biodiversité continentale. Enfin la chaîne de montagnes qui résulte de la collision est soumise à l'érosion ce qui augmente l'apport en calcium dans les eaux océaniques et permet la réaction suivante :

    CO2 + Ca(OH)2 → CaCO3 + H2O

    Le carbonate de calcium qui se forme précipite pour former de calcaire et simultanément du dioxyde de carbone est absorbé dans l'eau puis dans l'atmosphère. La chute du dioxyde de carbone atmosphérique diminue l'effet de serre et par voie de conséquence provoque un refroidissement de la Planète.

    A la fin du Permien et à la suite de collisions successives, tous les continents sont réunis en une seule masse continentale, la Pangée. Les effets de la diminution de la ligne de côte et de la désertification sont alors à leur maximum et ont pris part à l'extinction de masse. Par contre l'effet de l'érosion sur le climat ne s'est pas fait sentir car la genèse de la Pangée a été très progressive et la plupart des chaînes de montagne qui ont accompagné sa formation sont déjà bien érodées.

    Les mouvements et les positions des masses continentales peuvent avoir de fortes répercussion sur le climat global de la Planète. Il y a 33 millions d'années l'Amérique du Sud et l'Antarctique se sont séparés laissant un espace béant maintenant occupé par le passage de Drake. L'Antarctique s'est alors retrouvé totalement entouré d'océans et sous l'effet des vents d'ouest un gigantesque courant froid s'est mis en place et l'a ceinturé. Isolé dans cette glaciaire le pôle sud s'est refroidi et recouvert d'une épaisse calotte polaire. La Terre est alors passée d'une période chaude à une période froide.

    Des crimes de l'Orient-Express?

    Dans ce roman policier d'Agatha Christie, le détective Hercule Poirot découvre que la victime n'a pas été tuée par une seule personne mais par pas moins de douze, chacune ayant donné un coup de couteau avec des forces différentes. Dans le cas de la crise Ordovicien Silurien nous venons de voir que crise climatique et régression marine s'étaient conjuguées. Pour les autres crises les conclusions des enquêtes aboutissent à identifier plusieurs coupables. C'est la simultanéité de plusieurs causes qui détermine la gravité d'une crise.

    Les causes probables des cinq crises majeures de la biodiversité.
    Ordovicien terminalDévonien supérieurPermien TriasTrias JurassiqueCrétacé Paléocène
    Météorites ???++
    Volcanisme +++++++
    Régression++++++
    Variations climatiques++++++?+
    Changements paléogéographiques++++++
    Informations sur la page
    créée le : 13-06-2018     mise à jour le : 05-11-2018     1014 visites depuis le 3/08/2021
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