Gisements de fer rubané
Les gisements de fer rubané ou BIF (Banded Iron Formation) représentent la plus importante ressource en fer de la planète puisqu'ils constituent 80 % des réserves de ce métal dont la demande n'a fait que croître ces dernières années. La teneur en fer est généralement élevée et peut atteindre 65%, le minerai peut alors être envoyé à l'aciérie sans enrichissement préalable. Les gisements sont de grande taille voir immenses s'étendant sur des milliers de kilomètres carrés et leur exploitation se fait à ciel ouvert.
Cinq gisements se partagent 90% des réserves de fer rubané
Hammersley (Australie)...............19,2 109 tonnes de fer
Quadrilatero Ferrifero (Brésil) .....17,5 109 tonnes de fer
Transvaal (Afrique du Sud) ...........1,7 109 tonnes de fer
Krivoyrog (Ukraine) ......................2,8 109 tonnes de fer
Labrador (Canada) .......................1,1 109 tonnes de fer
Répartition dans l'espace et dans le temps
Répartition géographique des gisements de fer rubané (Beukes et al., 2008).
Répartition des gisements de fer rubané dans le temps (Poulton et al. 2011, Sreenivas, 2005) et extension des plateaux continentaux (Cawood et al., 2009).
Les gisements se sont formés au Précambrien à la périphérie des cratons c'est à dire des parties les plus anciennes des continents. On distingues 3 types de gisement :
- Le type Algoma est toujours associé aux ceintures de roches vertes de l'Archéen. Ces gisements sont les plus anciens, les plus nombreux mais de plus petite taille que le type suivant.
- Le type Lac supérieur est associé au talus continental des cratons. Les gisements sont de très grande taille mais peu nombreux. Ils existent de -3 Ga à -2 Ga.
- Le type Rapitan se dépose aussi sur le talus continental des cratons mais les conditions de formation sont différentes du type précédent. Ils sont rares et liés aux glaciations de la fin du Précambrien.
Les sédiments se sont accumulés sous une épaisseur d'eau variable. Les dépôts du Labrador semblent s'être fait à faible profondeur près de la côte. Les autres gisements se sont formés entre 100 et 700 m en bordure de plateau continental. Ils apparaissent vers 4 milliards d'années, culminent vers 2,8 milliards d'années pour quasiment disparaître un milliard d'années plus tard.
Structure des gisements et minéralogie
Texture rubanée des formations de fer rubané, l'exemple de Hammersley (Australie) (Jébrak et al., 2008)
Leur rubanement caractéristique s'observe à toutes les échelles de taille de l’hectomètre au millimètre. Il consiste en une alternance de couches rouges riches en hématite (Fe2O3 ) et en magnétite (Fe+2 Fe2+3O4 ) et de couches grises ou verdâtres riches en silice (SiO2 ), en sidérite (carbonate de fer FeCO3 ) et en pyrite (FeS2 ) mais appauvries en fer. Hématite et magnétite contiennent des formes oxydées du fer, sidérite et pyrite des formes réduites. Ces couches sont le reflet de variations de l'approvisionnement en fer et des propriétés oxydantes de l'eau de mer. D'où venaient ces quantités colossales de fer ?
Montre moi tes terres rares et je dirais d'où tu viens
Spectre de terres rares de quelques roches (Kato et al. 2006)
Dans la nature actuelle l'essentiel du fer des océans provient des fleuves et des poussières arrachées aux continents. Il était donc logique de penser qu'au Précambrien il en était de même. Cependant l'étude des terres rares contenues dans les sédiments des gisements de fer rubané montre une origine toute différente.
Plutôt que de terres rares il serait préférable de parler de lanthanides, éléments chimiques dont le numéro atomique est compris entre 57 (lanthane) et 71 (lutécium). Ils sont très proches chimiquement et leur isolement a été une entreprise monumentale au début du XXème siècle (15 000 cycles de cristallisation fractionnée pour isoler le lutécium), elle est maintenant incomparablement plus aisée grâce aux micro-sondes ioniques. L'analyse d'un échantillon permet d'obtenir un spectre de terre rare c'est à dire la quantité de toute la gamme des lanthanides. Les résultats sont exprimés en divisant les valeurs brutes de l'échantillon par les valeurs d'un échantillon pris comme référence (une chondrite le plus souvent).
Certains éléments vont être en excès (anomalie positive) ou en déficit (anomalie négative) par rapport à la référence. Les sédiments et les roches continentales ont par exemple une anomalie négative en europium tandis que les roches et les fluides des dorsales océaniques ont une anomalie positive. L'anomalie positive en europium des fers rubanés montre qu'ils se sont formés à partir d'éléments issus d'un liquide hydrothermal. Le détail des faits est un peu plus subtil et complexe. Si l'anomalie est bien nette pour les gisements de type Algoma, elle l'est beaucoup moins pour les gisements de type Lac supérieur postérieurs à -2,7 Ga, le fer de ces derniers ayant en parti une origine continentale. Même sur les gisements plus anciens l'anomalie est plus forte à la base d'une formation qu'à son sommet. Au cours de son histoire le gisement se serait progressivement éloigné de la dorsale et de la source d'anomalie positive en europium pour passer à une alimentation continentale (Kato et al, 1998). Cela montre également que des dorsales fonctionnaient et qu'il y avait des continents émergés sièges d'une érosion active.
Une anomalie négative en cérium est le signe d'une eau oxydante. Les eaux océaniques actuelles sont riches en oxygène même près du fond d'où leur forte anomalie. L'absence d'anomalie dans le fer rubané tendrait à montrer que son milieu de dépôt, le fond de l'océan, n'était pas oxydant. Alors comment expliquer la présence de formes oxydées du fer?
Fer oxydé ou Fer réduit?
Le δ 56Fe de quelques roches et les phénomènes succeptibles de le faire varier (Johnson et al., 2003,2008).
Le fer possède 4 isotopes (54Fe, 56Fe, 57Fe, 58Fe). Nous nous intéresserons ici à la quantité de l'isotoppe 56Fe par rapport à la quantité de l'isotope 54Fe exprimée en δ 56Fe. Différents phénomènes provoquent un fractionnement isotopique et modifient en conséquence le δ56Fe. L'oxydation et la précipitation du fer sous forme d'hématite de même que la formation de magnétite font augmenter le δ 56Fe, au contraire la réduction du fer par des bactéries le fait diminuer. Le δ 56Fe des gisements de fer rubané montre une large gamme de valeurs allant de -2,5 à 1 ‰, bien plus importante que celle des autres objets géologiques connus. On peut l'expliquer de la manière suivante. Le fer est produit par les cheminées hydrothermales avec un δ 56Fe = -0,75 ‰ puis il est oxydé dans les couches supérieures de l'océan en hématite et précipite (δ 56Fe = +0,55 ‰). Sur le fond, la réduction par les bactéries fait chuter la valeur de δ 56Fe. S'il y a du carbone, de la sidérite (carbonate de fer) peut se former sinon la réduction se poursuit jusqu'à la pyrite. La formation de magnétite explique les valeurs proches de -0,5 ‰. Les gisements de fer rubané sont donc la résultante de phénomènes complexes d'oxydoréduction qui se sont déroulés dans un océan stratifié dont les couches supérieures étaient oxydantes et les couches profondes réductrices.
Formation d'un gisement de type Lac supérieur
Le fer était produit (1) au niveau des sources hydrothermales. A l'état réduit, Fe2+, il était soluble dans les eaux réductrices des fonds océaniques et circulait (2) grâce aux courants profonds. Actuellement, l'hélium, gaz inerte émis par les dorsales, peut se retrouver à plusieurs milliers de kilomètres de son lieu de production (Lupton et al., 1981). Il devait en être de même pour le fer dans les couches profondes des océans du Précambrien. Des upwellings (3) le faisaient remonter vers la surface. Il traversait ensuite la chémocline séparant les eaux réductrices profondes des eaux oxydantes de surface. Il s'oxydait (5) alors à l'état de Fe3+ et précipitait (6) sous forme d'hématite qui sédimentait sur le fond au niveau du plateau continental. La réduction bactérienne transformait enfin l'hématite en sidérite ou en pyrite. L'oxygène des eaux de surface provenait de la dissociation de l'eau sous l'effet du rayonnement ultraviolet, de l'atmosphère et de la photosynthèse. Un faible part du fer du gisement venait de l'érosion (4) des continents.
La formation du gisement résulte de la conjonction de plusieurs phénomènes :
- Un océan stratifié avec des couches supérieures oxydantes et des couches profondes réductrices
- Un plateau continental très étendu (maxima d'extension des plateaux continentaux) sur lequel se font les dépôts du gisement.
- Des dorsales océaniques produisant des fluides hydrothermaux avec un débit élevé.
- Des mécanismes physiques ou biologiques produisant du dioxygène.