Un monde de bactèries
Évolution de la matière organique contenue dans les sédiments du précambrien comparée au développement des stromatolites.
Dans la nature actuelle l'oxygène que nous respirons est produit par les végétaux chlorophylliens grâce à la photosynthèse. La photosynthèse existe-t-elle depuis des temps aussi reculés? Plusieurs indices permettent de le penser.
Les Cyanobactéries sont des bactéries photosynthétiques actuelles (anciennement appelées algues bleues). Elles ont la particularité d'édifier des constructions calcaires appelées stromatolites. Ils sont le résultat de l'activité photosynthétique des Cyanobactéries qui, en absorbant le dioxyde de carbone, provoquent la précipitation du carbonate de calcium. Les restes identifiables des plus anciens êtres vivants (-3.5 Ga) ressemblent à des bactéries mais il est bien difficile de dire si des fossiles sont des cyanobactéries ou pas. La présence de stromatolites elle même n'est pas une preuve absolue ceux ci pouvant se former sous l'action d'autres bactéries ou même par simple précipitation chimique du carbonate de calcium.
La formation de Tumbiana
Stromatolites formation de Tumbiana âgés de -2,72 Ga (Schopf, 2006)
A gauche : Microfossiles de la formation de Tumbiana ressemblant à des Cyanobactéries Oscillaires (Schopf, 2006) à comparer, à droite, avec des Cyanobactéries Oscillaires actuelles
Dans des roches plus anciennes on pense avoir mis en évidence une photosynthèse particulière, la photosynthèse anoxygénique. Dans ce cas il n'y a pas de production d'oxygène mais décomposition de H2S.
Si effectivement le photosynthèse oxygènique est apparue vers 2.7 Ga, il s'est écoulé plusieurs centaines de millions d'années avant le Grande Oxydation. Pourtant un calcul simple montre qu'en produisant 26 .109 t de dioxygène par an la photosynthèse actuelle des océans ne mettrait que 46 000 ans pour produire les 12.1015 t de dioxygène que contient l'atmosphère actuelle.
Pourquoi la Grande Oxydation a-t-elle été différée ?
Il y a deux types de réponses. Soit l'oxygène produit était consommé par des substances réductrices, les puits à oxygène, plus abondantes avant la Grande Oxydation soit la photosynthèse était alors plus faible.
Des puits plus profonds :
La principale source de matières réductrices étant les gaz volcaniques on a supposé qu'ils étaient alors plus réducteurs et (ou) plus abondants. Cela suppose un manteau terrestre plus réducteur, mais aucune preuve convaincante ne confirme, pour l'instant, cette hypothèse. Une autre source réductrice est le Fe2+ alors très abondant dans les océans. Son rôle a certainement été important si on en juge par le volume des gisements de fer rubanés.
Une photosynthèse qui a du mal à se mettre en place :
Pour se développer les végétaux chlorophylliens ont besoin d'un certain nombre d'éléments chimiques en particulier le phosphore sous forme de phosphate et l'azote sous forme de nitrate. Ces deux molécules sont des formes oxydées des éléments et ne devaient pas exister dans un océans dépourvu d'oxygène. Les Cyanobactéries ont la particularité de fabriquer des nitrates en oxydant le diazote de l'air. Cette synthèse nécessite des enzymes particuliers les nitrogènases. Il en existe plusieurs formes mais les plus efficaces contiennent du molybdène. Il semble qu'avant la Grande Oxydation la concentration en molybdène des océans était très faible réduisant les capacités fixatrice d'azote des Cyanobactéries. (Scott et al., 2011) et leur capacité de croissance.
Le rayonnement ultraviolet :
Celui-ci endommage l'ADN, provoque la création de radicaux libres détruisant les molécules du cytoplasme et tuant les êtres vivants. La couche d'ozone absorbe 77% du rayonnement UV qui atteint la haute atmosphère. Pour que l'ozone existe il faut que l'atmosphère contienne du dioxygène. Avant la Grande Oxydation il n'y avait pas de couche d'ozone. L'atmosphère très riche en vapeur d'eau, en CO2, en méthane et en composés du soufre devait interagir avec les rayons ultraviolets en stoppant une partie sans être aussi efficace que l'ozone. L'eau des océans absorbe également les ultraviolet. Dans les eaux du pacifique sud, les plus pures de la planète , 90% du rayonnement est absorbé à 60 m alors que la lumière visible pénètre jusqu'à 80m , 2007). Ce qui permet à un photo-autotrophe d'être protégé tout en recevant la lumière visible qui lui permet de se nourrir.
Crème solaire
La Scytonemine est un pigment brun jaune soluble dans les lipides et localisé dans le gel de polysaccharide qui entoure les Cyanobactéries. Elle absorbe les rayons ultraviolets.
Les cyanobactéries résistent-elles à ce rayonnement ? Des études ont été menées dans le cadre de la dégradation actuelle de la couche d'ozone (Richa et al, 2011). Vous allez voir qu'elles ont des retombées pour le moins surprenantes. Beaucoup de Cyanobactéries ont des systèmes de réparation de l'ADN et d'inactivation des radicaux libres très efficaces et leur molécule d'ADN est en plusieurs exemplaires. Les espèces mobiles fuient les UV. Le plus surprenant est la découverte de substances absorbant les ultraviolets dans le gel de polysaccharide qui les enveloppe. Ce sont les MMAs (Mycosporine-like amino acids) et la Scytonemine. Vous imaginez tout l'intérêt de ces molécules pour les pharmaciens ! Les Cyanobactéries pourraient bien avoir inventé la crème solaire il y a près de 3 milliard d'années.
Scénario
Il y a 2,7 milliards d'années, dans un lac ou une lagune de ce qui sera plus tard l'Australie. Des Cyanobactéries pullulent à la surface de grands dômes coniques en carbonate de calcium. L'eau est saturée en dioxygène qui s'échappe dans l'atmosphère. C'est pour elles un déchet de ce qui leur permet de se nourrir d'une façon unique en décomposant les molécules d'eau. Aucun autre être vivant n'a résisté à ce poisson qui se répand partout et attaque les roches en libérant un précieux élément : le molybdène. Depuis quelques temps certaines Cyanobactéries l'ont incorporé dans l'un de leurs enzymes. Elles fixent activement l'azote de l'air pour fabriquer des nitrates. A leur mort les nitrates libérés dans l'eau permettent le développement de toutes les autres. Les temps sont durs cependant. Lorsque le milieu de la journée approche il faut se réfugier à l’abri des rayons ultraviolets mortels car les crèmes solaires (on disait "gels solaires au précambrien ne suffisent plus à vous protéger. Régulièrement les intempéries et les rivières emportent les eaux du lac jusqu'à la mer et avec elles des cyanobactéries, les précieux nitrates et le molybdène. Une immense nappe de sang semble alors recouvrir l'océan lorsque les eaux riches en oxygène rencontre le fer des océans. Les cyanobactéries survivent prés de la côte tant qu'il y a du molybdène.
Bien plus tard... L'océan est rouge sang à perte de vue. Comme chaque année, les Cyanobactéries pullulent le long des côtes des continents où l'eau des océans est alimentée en molybdène par les rivières en crue. Presque toutes les autres bactéries ont disparu, tuées par le dioxygène. Le manque de décomposeurs est tel que la mer est surchargée de la matière organique des cadavres des Cyanobactéries. Très peu d'êtres vivants utilisent le dioxygène pour décomposer la matière organique et les Cyanobactéries en produisent bien plus qu'elles n'en consomment. Sa concentration augmente sans cesse. Le fer des océans qui tempérait encore les ardeurs du poison ne suffit plus. La Grande Oxydation vient de commencer et avec elle des bouleversements sans précédent dans l'histoire de la vie sur la Terre. La seule consolation pour les autres êtres vivants est la formation d'une mince couche d'ozone les protégeant du rayonnement ultraviolet.
Il s'agit d'un scénario parmi bien d'autres. Il privilégie le rôle des nitrates et du molybdène comme facteur limitant d'autres privilégient le phosphate d'autres enfin considèrent que l'apparition des Cyanobactéries et la Grande Oxydation sont simultanées. On ne sait pas quelle concentration en oxygène a été atteinte au cours de la grande oxydation. Ce que l'on sait, par contre, c'est que cette valeur est retombée à environ 10 % de l'actuelle en quelques centaines de millions d'années sous l'effet de l'oxydation des composés du soufre et de la matière organique. Les couches profondes des océans sont restées sans oxygène quasiment jusqu'à la fin du Précambrien.