L'histoire des Mammifères placentaires
Euthériens et Placentaires
Les Mammifères et plus particulièrement les Placentaires sont sans doute les animaux les mieux connus même du grand public. Après avoir visité un zoo un enfant saura qu'il existe des Mammifères à sabots, des Carnivores, des Singes, des Tatous, des Éléphants et des Kangourous. S'il a un petit lapin à la maison il aura déjà un bon panorama des animaux à poils.
De gauche à droite : Monotrème (Ornithorynque), Marsupial (Kangourou), Placentaire (Chat)
Avant de poursuivre faisons le point sur leur classification. Dans la nature actuelle, il existe 3 groupes :
Les 3 groupes sont nettement définis mais dans les archives fossiles tout n'est pas aussi simple.
Prenons l'exemple d'Eomaia [6] du Crétacé inférieur de Chine. Son fossile montre des os marsupiaux, un bassin étroit, une demi mâchoire supérieure avec 5 incisives, 1 canine et plus de prémolaires que de molaires. Le caractère « plus de prémolaires que de molaires » lui ouvre la porte des Euthériens mais avec un bassin étroit pas question d'entrer chez les Placentaires. Un Euthérien n'est pas forcément un Placentaire.
Arbres
Distribution chronologique des Mammifères placentaire d'aprés Romer en 1966 avant l'utilisation de la cladistique. On ne parle pas de phylogénie mais plus modestement de "chronologic distribution". Remarquer l'origine des placentaires à la din du Crétacé et l'incertitude des relations de parentés marquée par des tirets. Les différents ordres sont regroupés par leur régime alimentaire. Les Condylarthra, ordre d'Ongulés primitifs, sont à l'origine de tous les ordres modernes d'ongulés (Artiodactiles, Périssodactyles, Phroboscidiens). Les Cétacés sont au milieu des Insectivores, Chiroptères, Carnivores[15].
Les zoologistes étudient les Placentaires depuis des siècles et ils ont défini une quinzaine d'ordres. Aidés des paléontologues ils établirent leur histoire et leurs relations de parenté. Si c'était assez facile au sein des ordres, ce l'était beaucoup moins pour brosser une histoire globale. Avec l’avènement de la cladistique, on tenta d'y voir plus clair sans grand succès au début. A la suite des découvertes des paléontologues on rapprocha les Cétacés des Artiodactyles (Cochons, Vaches, Hippopotames) [4] puis on regroupa Lagomorphes (Lapins) et Rougeurs (Souris, Rats) dans le clade des Glires. Le travail se poursuivit en rapprochant d'une part les Carnivores (Chats, Chiens), des ongulés (Chevaux, Éléphants, Cochon, Vache) et d'autre part les Glires et les Primates des Chiroptères. Les fossiles ne sont pas toujours d'un grand secours les différents ordres semblant surgir de nulle part au début du paléocène comme si tout c'était passé avant, au Crétacé. Après la crise Crétacé/Paléogène, il semble que la diversification a été tellement rapide que les sédiments n'ont pas eu le temps d'enregistrer le détail des événements.
Arbre phylognénétique des Placentaires basé sur la morphologie [9]. Remarquez les regroupements par régimes alimentaires: insectivore (Insectivores), végétarien (Glires + Ongulés), mode de locomotion: arboricole (Primates + Galéopithèque + Toupaye) et vol [12].
Arbre phylognénétique des Placentaires basé sur les gènes. Trois clades principaux, les Euarchontoglires groupant les Glires et les Primates, les Laurasiatheria groupant les Ongulés (sans les Téthythériens), les Chiroptères (Chauves souris), une partie des Insectivores et les Carnivores, les Afrotheria groupant les Téthythériens et une partie des Insectivores. [9][3][16][13][5][8]
Les généticiens sèment le doute
A la fin du vingtième siècle, les généticiens ont proposé un arbre phylogénétique très différent de celui des zoologues et des paléontologues. Il fut accueilli avec circonspection [17] . Comment un tel arbre pouvait-il rendre compte de l'histoire d'un groupe dont 80% des genres sont fossiles [14]? Encore une lubie de généticiens basée sur quelques gènes! Les généticiens ont fait remarquer que les clades basés sur la morphologie regroupent souvent des animaux ayant le même régime alimentaire (insectivore) ou un même mode de locomotion (ongulé, arboricole), ils seraient le reflet de convergences [12]. Les phylogénies basées sur les gènes n'auraient forcément pas ce biais. Avec le temps la situation n'a pas changé mais le nombre de gènes utilisé, lui, a augmenté dans des proportions énormes avec le séquençage de génomes entiers : 36 génomes nucléaires, 274 génomes de mitochondries soit 20,4 104 paires de bases dans une étude ressente [11] ou 31 gènes de 4000 espèces pour une autre (une matrice de données de 4000 lignes et 39000 colones, 15,4 104 paires de bases!)[13]. Devant une telle avalanche de preuves certains paléontologues ont même renoncé, mélangeant génétique et morphologie [12] ou contraignant leurs arbres phylogénétiques à suivre celui des généticiens [10]. Génétique 1 morphologie 0.
Trop c'est trop
En même temps qu'ils proposaient leurs arbres phylogénétiques, les généticiens donnaient aussi une estimation du moment où les Placentaires étaient apparus. Là encore le désaccord était total: les Placentaires seraient apparus au Crétacé. "Leur horloge moléculaire est encore détraquée" fut la réaction des paléontologues et des morphologistes. Les généticiens affûtèrent donc leurs techniques de traitement des données mais tous les résultats convergeaient vers une date d'environ -90 millions d'années (plus ou moins une vingtaine d'année)[13]. Oui mais voilà où sont les fossiles ?
Mammifères fossiles à la fin du crétacé; Hell Creek Formation, Montana, USA [1].
Au Crétacé, les Euthériens représentent à peine un tiers des Mammifères et les fossiles complets sont exceptionnels (Eomaia), le plus souvent on trouve des dents, une mâchoire inférieure ou au mieux un crâne, des preuves indirectes, donc. Les espèces qui passent la limite Crétacé Paléogène se compte sur les doigts de la main et leur statut de placentaire est remis en cause d'une publication à l'autre. Protungulatum[1] par exemple est un ongulé primitif pour certains [9] et même pas un placentaire [10] pour d'autres. Pour réaliser à quel point nos connaissances sur ce genre sont incomplètes, il faut savoir que sur 680 caractères morphologiques utilisés dans une analyse phylogénétique [10] seulement 363 sont connus chez Protungulatum. Les généticiens font confiance aux paléontologues. Après tout il y a des précédents, ils avaient prédit que les Euthériens existaient dés le jurassique entre 140 et 180 millions d'années, les paléontologues chinois ont découvert Juramaia [7] âgé de 160 millions d'années. Il va falloir fouiller dans des terrains encore inexplorés en Inde ou dans l’hémisphère sud. Affaire à suivre.
Finalement deux théories [2] sur la diversification s'affrontent:
Pour la première (modèle dit "explosif"), celle des paléontologues et des morphologistes [9], tout s'est passé au tout début du paléocène en moins d'un million d'années à un rythme effréné, tellement effréné que l'on peut se demander si les taux de mutations que cela suppose sont bien réalistes [12].
La seconde (modèles dit à "mèche longue" ou à "mèche courte"), celle des généticiens [13][8][10], étale la diversification sur plusieurs dizaines de millions d'années. Le premier placentaire apparaît il y a 90 millions d'années vers le milieu du crétacé, puis les grands groupes (Laurasiatheria, Euarchontoglires, Afrotheria) vers 80 millions d'années, les ordres actuels et fossiles font enfin leur apparition en ordre dispersé soit avant la fin du crétacé soit au paléocène. L'essentiel de la diversification se fait au crétacé supérieur lorsque les Angiospermes, les Insectes et les Oiseaux se diversifient eux aussi avec vigueur [18] est-ce un hasard? La crise crétacé/paléogène, en libérant une multitude de niches écologiques, va favoriser et exacerber la diversification au sein des ordres et permettre l'apparition de nouveaux. Théorie séduisante, mais les preuves fossiles font défaut au Crétacé.