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La face cachée du Trilobite

Golden Bug

Un Golden Bug, spécimen numéro YPM 228 récolté et dégagé par Beecher lui-même (photographie Dr. Susan Butts Yale Peabody Museum).

William Valiant et son frère explorent les berges de la rivière Sixmille Creek près de Rome dans l'état de New York. Huit ans plus tôt il y a récolté un galet portant un fossile de Trilobite avec ce qui semble être des pattes. Il espère trouver en amont la couche de terrain d'où provient le galet et depuis il occupe ses loisirs à examiner mètre par mètre les roches qui affleurent. Valiant est un paléontologue amateur qui collecte des fossiles dans la région depuis son plus jeune âge et, en ce mois de septembre 1892, la chance va enfin lui sourire. Un coup de marteau révèle un Trilobite avec pattes et antennes! Il sait que l'on connaît très mal l'anatomie de la face inférieure des Trilobites.

Conscient de l'importance de sa découverte, il expédie des échantillons à différents Musées. Walcott qui découvrira plus tard les schistes de Burgess et qui est un grand spécialiste des Trilobites visite le site avec Valiant mais, débordé de travail, il ne publie qu'une courte note dans une revue scientifique. Le plus intéressé est un certain Beecher alors simple assistant au Peabody Museum. Il comprend toute l'importance de la découverte, obtient les droits de fouilles exclusives et récolte la totalité de la couche fossilifère épaisse de quelques centimètres. Plus de deux tonnes de roches partent pour le Peabody Museum.

Beecher s'engage alors dans ce qui sera l'oeuvre de sa vie. Doué d'une extraordinaire habileté manuelle, il dégage, sous la loupe binoculaire, les plus infimes détails de fossiles de quelques centimètres. A l'époque il n'y a pas de ponceuse pneumatique et c'est à l'aide de gommes abrasives qu'il enlève patiemment la gangue noire qui enrobe les fossiles pyritisés. Une fois dégagés, ils ressemblent à des insectes d'or, des "golden bug" reposant dans un écrin de nuit. Cette tâche va l'occuper jusqu'à sa mort prématurée en 1904. Il aura alors préparé plus de 600 spécimens.

Sa reconstitution de la face inférieure du Trilobite Triarthrus a depuis été reproduite dans des centaines de manuels scolaires et elle n'a été que peu modifiée par les études plus récentes. Les fossiles étudiés par Beecher ont été aplatis lors de leur formation et il est difficile de se faire une idée de la forme de la carapace. Fort heureusement on a depuis retrouvé des spécimens enroulés et non déformés qui montrent que la carapace était beaucoup moins plate qu'on ne le pensait jusqu'alors. Triarthrus possède 27 paires de pattes bâties sur le même plan. Chaque anneau possède une paire de pattes, 3 paires sont fixées sous le céphalon et 10 paires, pour la plupart minuscules, sous le pygidium. Le céphalon porte une paire d'antennes à l'avant de la première paire de pattes. Ce plan d'organisation ne correspond à aucun de ceux des classes d'Arthropodes actuels et les Trilobites sont mis dans une classe à part.

Reconstitution de la face inférieure du Trilobite Triarthrus par Beecher [1]. Il a également réalisé un modèle en 3 dimensions dont l'original en bronze à l'échelle x2,5 a été moulé pour réaliser des répliques en plâtre.

Anatomie externe du Trilobite Triarthrus, une vision moderne peu différente de celle de Beecher. [2].
Comparer la face inférieure du fossile et sa reconstitution

Sous la carapace : les Pattes

L'étude des pattes et plus généralement de la partie inférieure des Trilobites peut se compliquer par le fait qu'il n'est pas toujours possible de dégager le fossile de sa gangue. C'est l'obstacle auquel s'est trouvé confronté Leif Størmer lorsqu'il a voulu étudier les pattes de Ceraurus [3][4]. Il a d'abord fait des coupes successives très fines dans le fossile puis dessiné le contour de la patte sur chacune des coupes. Des lamelles de cires ont ensuite été découpées en suivant ces contours. Une fois ces lames empilées dans l'ordre des coupes puis collées, Størmer avait à sa disposition un modèle de la patte [5] agrandie et en 3 dimensions . Cette technique est toujours utilisée mais le modèle en 3 dimensions est maintenant obtenu grâce à un ordinateur et éventuellement imprimé par une imprimante 3D. Une méthode, non destructrice celle là, est d'utiliser les rayons X pour observer le fossile à travers sa gangue. On peut réaliser une simple radiographie ou une tomographie. Le tomographe réalise des images en coupe du fossile ce qui permet de le reconstituer en 3 dimensions.

Patte thoracique d'Agnosthus [6]

Le fossile est parfois conservé dans ses plus infimes détails. C'est le cas des nodules calcaires du sud de la Suède où des molécules de phosphate ont remplacé une à une les molécules des êtres vivants. La dissolution des nodules dans l'acide permet de récupérer les fossiles constitués de phosphate insoluble. Les Trilobites Agnostus que l'on a extraits sont dans un état de conservation saisissant avec des détails de l'ordre du micromètre [6].

Après des décennies de recherche on ne connaît finalement l'anatomie des pattes que de quelques espèces de Trilobites : Olenoides, Ceraurus, Triarthrus, Asaphus, Cryptolithus, Calymene, Agnostus, Chotecops, Eoredlichia, Phacops, Asteropyge, Rhenops.

 

Pattes des Trilobites : A-Olenoides [7][8], B-Ceraurus [3][4], C-Triarthrus [2], D-Agnostus [6]. Cliquez sur "3D" pour voir les modèles en 3 dimensions.

Chez tous ces Trilobites, la patte comprend deux branches fixées sur une pièce unique, le basipodite, elle même fixée sur le corps. Une branche externe ou exopodite ressemble à une plume et assure la respiration tandis qu'une branche interne ou endopodite sert à la locomotion.

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Moule interne de Panderia beaumonti. 1-Taches laissées par la fixation des muscles des pattes du céphalon, 2- cavités des apodèmes de fixation des muscles des pattes du thorax, 3-Taches laissées par la fixation des muscles des pattes du pygidium

Les muscles n'ont jamais été fossilisés mais il est possible de les reconstituer en examinant attentivement les fossiles. L'insertion des muscles des pattes a laissé des empreintes visibles sur les moules internes. Ces muscles pouvaient aussi être fixés sur des pointes creuses appelées apodèmes qui faisaient saillie à l'intérieur de la carapace. Elles forment des petites cavités à la surface des moules internes. Des taches situées sur la face dorsale entre les anneaux sont l'indice de la présence de muscles extenseurs [5]. Par contre, nul trace des muscles fléchisseurs n'a subsisté pourtant ils existaient bel et bien puisqu'ils permettaient à l'animal de s'enrouler. Si on se réfère à l'appareil musculaire des Crustacés [11], les Trilobites devaient posséder d'autres muscles comme des muscles dorso-ventraux réunissant carapace dorsale et carapace ventrale. Leur contraction maintenait l'intérieur du corps sous pression ce qui facilitait le retour de l'hémolymphe dans le système veineux et rigidifiait la face inférieure à carapace mince [9][10] .

Les pattes étaient certainement aussi impliquées dans l'alimentation. Les endopodites et les basipodites dont les articles sont massifs et hérissés d'épines devaient être redoutables pour saisir, tuer et découper des proies. Lorsque les Trilobites chassaient de cette manière, ils laissaient dans le sédiment des traces appelées Cruzania . L'animal était alors légèrement enfoncé dans la vase et la fouillait tout en se déplaçant. Parfois une Cruzania recoupe une trace de ver qui s'interrompt alors, signe que le Trilobite a capturé une proie [13]. La proie était finalement découpée en petits morceaux par les premiers articles des pattes situées sous le céphalon avant d'être ingurgitée dans la bouche située sous l'hypostome. Les Crustacés Triops actuels capturent et consomment leurs proies de la même manière.

Tous les Trilobites n'étaient pas des prédateurs. Certains ingurgitaient de la vase, d'autres filtraient le sédiment pour y puiser des particules nutritives. Dans ce dernier cas, le mouvement d'eau était entretenu par l'agitation des exopodites. On pense que Cryptolithus se nourrissait ainsi.[14][15].

Cryptolithus filtrant le sédiment pour en extraire sa nourriture. L'activité de l'animal laisse des traces caractèristiques en forme de fer à cheval dans le sédiment

La digestion des aliments

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A-Meniscopsia beebei dont le tube digestif est conservé sous forme de phosphates noirs.
B-Détail de l'encadré montrant le tube digestif, oe : oeusophage, Bo : bouche, Dv : diverticule, In : intestin.
C-Schéma de l'intestin en vue de profil, rouge : œsophage, mauve : intestin, rose : diverticules [16]

Quelques fossiles de trilobites ont conservé la trace du tube digestif sous forme de phosphate [16]. Parfois c'est le contenu lui même du tube digestif qui a été fossilisé. De ces restes éparses, on a pu reconstituer une sorte de portrait robot du tube digestif. La bouche s'ouvrait sous l'extrémité de l'hypostome et se poursuivait par un court oesophage replié en U comme chez les Limules actuels. Venait ensuite l'intestin qui parcourait tout le corps depuis le céphalon jusqu'au pygidium en passant par chacun des anneaux du thorax. Il se terminait par un anus situé à l'extrémité du pygidium. La première partie de l'intestin portait une série de poches ou diverticules. Chez quelques espèces, la toute première partie de l'intestin, contenue dans la glabelle du céphalon, était dilatée pour former un jabot où la nourriture s'accumulait pour y être finement broyée.

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Reconstitution de l'appareil digestif de Triarthrus. 1-œsophage, 2-jabot, 3-hépatopancréas, 4-intestin, 5-diverticules, 6-anus [10].

Sur de rares fossiles, le moule interne de la joue révèle la présence d'un hépatopancréas [17][18]. Chez les Crustacés et les Limules actuels cette glande digestive a un fonctionnement particulier différent de celui du pancréas et du foie des Vertébrés. Elle est constituée d'un réseau de fins canaux ramifiés. Le plus gros canal débouche dans la première partie de l'intestin. Les canaux sont entourés de cellules dont certaines secrètent des enzymes digestives et d'autres stockent des réserves comme le glycogène. Les particules ingérées sont filtrées par un crible situé devant l'entrée du canal de l'hépatopancréas. Contrairement aux Vertébrés, les plus fines particules pénètrent dans les canaux et y sont en grande partie digérées et leurs nutriments absorbés. La digestion des particules plus volumineuses se poursuit dans le tube digestif et ses diverticules. Les nutriments passent ensuite dans l'hémolymphe puis sont pris en charge par la circulation.

 

La circulation

triarthrus-circulation.jpg

Reconstitution de l'appareil circulatoire d'un anneau chez Triarthrus [14][19].
1-coeur, 2-artère, 3-artérioles, 4-cavité générale, 5-veine latérale, 6-branchie de l'exite, 7-veine, 8-cavité péricardique, 9-ostiole, 10-muscles cardiaques.

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Reconstitution de l'appareil circulatoire de Triarthrus. 1-artère hépatique , 2-artère ophtalmique , 3-veines du céphalon , 4-coeur dorsal , 5-veine latèrale [14][19].

Les Arthropodes n'ont pas de sang mais de l'hémolymphe qui baigne toutes les cellules et remplie la cavité générale. Elle est absorbée par un réseau de veines qui la transporte jusqu'aux branchies c'est à dire aux fins filaments de l'exopodite de chaque patte. Là, le pigment respiratoire qui n'est pas l'hémoglobine mais l'hémocyanine se charge en oxygène. Les veines poursuivent leur trajet jusqu'à une cavité entourant le coeur situé dans la partie dorsale de l'animal, c'est la cavité péricardique. L'hémolymphe passe ensuite dans le coeur. Il la propulse dans le réseau des artères qui irriguent tous les organes. Arrivé à l'extrémité des plus fines artères il n'y a pas de réseau de capillaires réunissant artères et veines et l'hémolymphe se déverse alors entre les cellules et dans la cavité générale. L'appareil circulatoire des Arthropodes est dit ouvert. Un tel système est rendu possible par l'absence de globules rouges l'hémocyanine étant en solution dans l'hémolymphe. Voici résumé les grands traits des points communs des appareils circulatoires des Arthropodes actuels [19][20].

Mais que sait-on de celui des Trilobites? Pas grand chose en fait. Des traces sur la glabelle de Nileus [5] laissent supposer la présence d'un coeur dorsal, des empreintes sur les joues d'Asaphus [5] ont été interprétées comme des artères et enfin des restes d'un coeur dorsal sont visibles chez Illaenus [1] . En utilisant ces informations et en s'inspirant de l'appareil circulatoire de la Limule [19] et de celui des Crustacés [20] [21] on peut faire la reconstitution de celui d'un Trilobite.

Anatomie d'un trilobite

A partir des données des fossiles et de l'anatomie comparée des Arthropodes, il est finalement possible d'avoir une image assez précise de l'anatomie d'un Trilobite. Seul le système nerveux reste totalement inconnu à l'état fossile. Chez les Arthropodes actuels, il est constitué d'un cerveau et d'une chaîne ventrale. Le cerveau est typiquement constitué de 3 parties: le protocérébron relié aux yeux par les nerfs optiques, le deutocérébron relié à la première paire d'antennes et le tritocérébron qui innerve la deuxième paire d'antennes chez les Crustacés, le labre chez la Insectes et les Myriapodes et les chélicéres chez les Chélicérates. Cette structure tripartite est connue chez les Arthropodes depuis le cambrien [22]. On peut supposer que le cerveau des Trilobites était bâti sur ce modèle mais le tritocérébron n'existait pas. A sa place se trouvait une paire de ganglions tous simples innervant la première paire de pattes.

D'autres illustrations de l'anatomie de Triarthrus sont disponibles dans la Galerie

Reconstitution de l'anatomie de Triarthrus.
Les muscles sont en blanc translucide, les artères en rouge, les veines en bleu, l'appareil digestif en brun et l'hépatopancréas en orange.
Cliquez sur "3D" pour voir un modèle en 3 dimensions, le fichier étant volumineux le temps de chargement peut être long.

Légende des Modèles des pattes des Trilobites : A-Olenoides, B-Ceraurus, C-Triarthrus, D-Agnostus <b>Reconstitution de l'anatomie de <em>Triarthrus</em>.</b> </br>Les muscles sont en bleu clair, les artères en rouge, les veines en bleu foncé, l'appareil digestif en brun, l'hépatopancréas en jaune et le système nerveux en blanc. ', NULL, '2017-10-11 17:36:13'),
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créée le : 15-12-2016     mise à jour le : 27-06-2020     1976 visites depuis le 3/08/2021
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