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Trilobites : reproduction et développement

Ampyx priscus est un trilobite qui est fréquemment retrouvé formant de longues files d'individus parfaitement alignés à la queue-leu-leu. Ce comportement se retrouve actuellement chez les Langoustes lorsqu'elles gagnent leur lieu de reproduction. Ordovicien inférieur du Maroc ; longueur d'un individu : environ 1,5 cm. Photographie Université de Lyon 1.

La saison des amours.

Triarthrus eatoni, les structures ovoïdes sur le côté du céphalon seraient des œufs [1].

Le fond de la mer grouille de Trilobites. En longues files de milliers d'individus, ils remontent des profondeurs. Imperturbables face aux Orthocères prédateurs qui les harcèlent, ils serrent les rangs céphalon contre pygidium. Dans la colonne l'excitation monte à l'approche du lagon aux eaux claires. Là-bas l'orgie a déjà commencé, les effluves de sperme et d'ovules ne trompent pas, il faut se hâter et des milliers de pattes s'activent avec frénésie. Dans le sable fin, mâles et femelles, pêle-mêle, se défont de leur vieille peau. Sperme et ovules fusent des orifices reproducteurs libérés des épaisses carapaces. Le carnage se poursuit. Orthocères et Eurypérides virevoltent infatigables emportant qui une carapace vide qui le corps mou d'un amant transit. C'est sans importance le miracle de la vie a eu lieu et des millions d’œufs sont maintenant enfouis dans le sable ou collés aux végétaux. Plusieurs jours se sont écoulés, le calme règne à nouveau dans le lagon. Le fond est jonché de carcasses vides et de cadavres qui s'éparpillent à perte de vue. Les derniers fêtards regagnent lentement les profondeurs abandonnant leurs œufs aux eaux chaudes du lagon. [14]

De l'œuf à l'adulte

Les étapes du développement de Shumardia [3] :
P0, P2 : larve protaspis
M0 à M5 : larve meraspis avec 0 à 5 anneaux
H :  holaspis et adulte.
Barre d'échelle : 0.2 mm.

De l'œuf émerge un minuscule individu d'à peine un demi millimètre. C'est un disque convexe qui est un céphalon de trilobite, il ne comporte ni anneau ni pygidium. Ce Trilobite très incomplet est une larve protaspis. Elle va bientôt se doter d'un pygidium mais celui-ci est soudé au céphalon. Le nombre de segments du pygidium augmente ensuite sans qu'aucune articulation n'apparaisse.

La formation d'une articulation entre céphalon et pygidium marque le passage à la larve meraspis qui poursuit son développement en ajoutant progressivement des anneaux entre céphalon et pygidium jusqu'à atteindre le nombre définitif caractéristique de l’espèce. A ce stade appelé holaspis, le Trilobite est complet mais de petite taille. Il va poursuivre sa croissance pour atteindre l'âge adulte et la maturité sexuelle.[2]

L'examen attentif du développement de certains Trilobites comme Shumardia permet de déterminer où se forment les segments et les anneaux. Sur la figure ci contre vous remarquerez que l'adulte possède un anneau très particulier avec de longues pointes, les pointes macropleurales. Si vous suivez ces pointes en remontant à rebours le développement du trilobite vous verrez que cet anneau a pris naissance dans le pygidium un peu avant sa partie terminale. C'est la zone de génération des segments du pygidium. La formation d'un nouveau segment repousse vers l'avant son prédécesseur. Un segment se retrouve finalement tout à l'avant du pygidium. A l'étape suivante il sera devenu un anneau, le dernier du thorax. La formation d'un nouvel anneau le repoussera vers l'avant de l'animal. Le phénomène se reproduira jusqu'à ce que le nombre définitif d'anneaux soit atteint.

Dans la nature actuelle, les stades larvaires permettent de limiter ou de supprimer la compétition entre jeunes et adultes. La larve nauplius de la Langouste vit en pleine eau et se nourrit de plancton tandis que l'adulte vit sur le fond où il s'alimente. Ce phénomène s'appelle la stratégie de développement.

Stratégie de développement et évolution

La larve protaspis de Encrinuroides était semblable à l'adulte, ce qui permet de supposer qu'elle était benthique (vivant sur le fond). Par contre celle de Isotelus était très différente de l'adulte et l'on pense qu'elle était sans doute pélagique (nageant en pleine eau) comme la larve nauplius des Crustacés [9].

Au cours de la crise biologique de la fin de l'Ordovicien provoquée par une glaciation, les espèces à larves pélagiques disparaissent tandis que les espèces à larves benthiques survivent [10].

Il existe deux sortes de larves proaspis et meraspis. Les larves du premier type ressemblent à des adultes miniatures, comme eux elles vivaient sur le fond, ce sont des larves benthiques. Les larves du second type sont totalement différentes de l'adulte. De profil leur forme évoque un haricot et en vue dorsale un cœur. La ressemblance avec la larve nauplius des Crustacés est frappante, c'est pourquoi on considère que ces larves nageaient librement en pleine eau au dessus du fond, elles étaient pélagiques. Les Trilobites à larve pélagique appartiennent à l'ordre des Asaphida qui a une vaste répartition géographique à l'ordovicien inférieur et moyen [9]. A l'ordovicien supérieur leur aire de répartition se rétrécit et ils disparaissent presque totalement lors de la crise ordovicien silurien contrairement aux Trilobites à larves benthiques [10]. Pourquoi eux et pas (ou peu) les autres? Dans la nature actuelle les espèces à larves pélagiques sont surtout répandues dans la zone intertropicale en climat équatorial et elles sont absentes des zones froides arctiques et antarctiques [11] [12]. Cette forte prévalence dans les eaux chaudes est sans doute à mettre en relation avec la forte production de biomasse du phytoplancton des mers intertropicales [13]. A l'ordovicien inférieur et moyen le climat global de la planète est uniformément chaud et les calottes polaires réduites ou absentes. La zone climatique équatoriale est très étendue en latitude et dans ces conditions les espèces à larve pélagiques sont favorisées. Les Asaphida peuvent vivre quasiment dans tous les océans de la planète. A la fin de l'Ordovicien les calottes polaires se développent et la zone équatoriale se rétrécit voir disparaît. Les espèces à larves planctoniques sont fortement défavorisées et les Asaphida disparaissent alors presque totalement.

La mue, une étape vitale de la croissance.

Une mue d'Acidaspis coronata montre quatre pièces caractéristiques : 2 joues libres (1), l'hypostome (2) coincé sous le reste de la carapace[4]. Échelle 2 mm

Hauteur et largeur des stades larvaires meraspis de Cryptolithus. La croissance se fait de manière discontinue ce qui est caractéristique de mues successives [6][7].

L'épiderme des Arthropodes sécrète une cuticule qui peut être molle et souple mais qui, le plus souvent, est rigide et dure on parle alors de carapace. Elle contient de la chitine (polyacétylglucosamine) et des protéines en couches alternées. Son durcissement provient du tannage des protéines par des phénols venant du sang ou de son imprégnation par du carbonate de calcium et du phosphate de calcium.

La rigidité de la cuticule empêche toute croissance et l'animal est obligé de s'en débarrasser régulièrement : c'est la mue. Il se gonfle et la vieille cuticule rigide se fend alors à des zones de faiblesse prédéterminées. Il s'en extrait recouvert d'une cuticule toute neuve souple et molle, elle est distendue et d'une taille supérieure à l'ancienne. Elle durcira ensuite mais l'animal y sera au large et pourra grossir jusqu'à la mue suivante. L'existence d'une nouvelle cuticule sous l'ancienne montre que la mue a été préparée dans la phase qui la précède. Tout commence par la séparation de l'épiderme et de la cuticule et par la sécrétion entre les deux d'un liquide riche en enzymes qui digèrent la chitine et les protéines. L'ancienne cuticule est peu à peu consommée et ses constituants, y compris le calcium et le phosphore, réabsorbés. Ils serviront a fabriquer la nouvelle cuticule sous l'ancienne. Certains Crustacés comme les Amphipodes poussent même le soucis du recyclage jusqu'à manger l'ancienne carapace juste après la mue.

Chez les Trilobites les zones de faiblesse permettant la mue sont les sutures faciales situées au niveau du céphalon entre joues libres et joues fixes d'une part et entre hypostome et joues libres d'autre part. Après une mue, le Trilobite laissait donc derrière lui quatre morceaux : deux joues libres, un hypostome et le reste du céphalon fixé aux anneaux et au pygidium. La carapace pouvait aussi se rompre entre le céphalon et le thorax, entre deux anneaux du thorax ou entre le thorax et le pygidium. Si l'ouverture des sutures faciales prévaut du Cambrien au Silurien, c'est la rupture entre céphalon et thorax qui domine au Dévonien. Chez les Arthropodes actuels, les zones de rupture de la carapace sont les mêmes au sein de l'espèce ou même de l'ordre ou de la famille. Au contraire, chez les Trilobites la façon de muer était généralement variable au sein d'un ordre ou d'une famille, elle pouvait même varier au sein d'une espèce [4]. Des espèces ayant des formes voisines muaient de façons différentes. Les genres avec un nombre réduit d'anneaux et pour lesquels la mue était plus facile perdurent plus longtemps sur l'échelle des temps géologiques. Cela donne l'impression que le mécanisme de la mue n'était pas efficace. Ajoutons que le durcissement de la carapace par stockage de carbonate de calcium est un mécanisme très dispendieux en énergie et que les Trilobites recyclaient peu ces constituants et l'on comprendra que les Trilobites aient progressivement perdu pied face aux Crustacés[5].

Les étapes de la mue chez le Trilobite Triarthrus [8].

La mue de Triarthrus en vidéo

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créée le : 12-05-2017     mise à jour le : 22-09-2018     1004 visites depuis le 3/08/2021
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