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Alimentation de Cryptolithus

Reconstitution de la face inférieure de Cryptolithus par Beecher [1]. Remarquez les formes et orientations différentes des exopodites: La première paire mince et effilée, les trois suivantes plus larges et étalées sous le céphalon, les paires du thorax et du pygidium arquées et orientées vers l'arrières.

La première reconstitution de Cryptolithus réalisée par Beecher[1] montre un animal dont le pourtour du céphalon est perforé de larges trous. Larges à l'échelle de l'animal bien sur car chez un individu de 14 mm ils ne mesurent guère qu'un demi millimètre. De cette reconstitution est née l'idée que l'eau pouvait passer librement par le pourtour du céphalon qui jouait le rôle d'un crible dont la porosité devait avoisiner les 70 %. L'eau était pompée par le mouvement des exopodites de l'abdomen et du pygidium de l'arrière vers l'avant, puis elle passait à travers les filaments des exopodites du céphalon. Les particules organiques extraites du fond y étaient retenues avant d'être amenées à la bouche. L'eau filtrée était expulsée par le crible du céphalon [2].

Coupe à travers le céphalon de Cryptolithus, tomographie aux rayons X, les flèches rouges indiquent les trous du crible [3].

Une étude récente par tomographie aux rayons X [3] montre que les orifices faisant communiquer les deux faces du céphalon avaient en fait un diamètre 10 fois plus faible (0,06 mm) que sur les reconstitutions antérieures. Dans ces conditions la porosité du pourtour du céphalon chute de 70 % à 1 %. Il y avait finalement peu d'eau qui traversait ces orifices. Si tant est d'ailleurs qu'il en passât, les forces de capillarité la faisant fortement adhérer à la paroi mais un revêtement hydrophobe pouvait annuler ces forces et permettre un passage plus aisé [5].

Rusophycus cryptolithi : trace laissé par Cryptholithus lorsqu'il s'alimentait [4].

Des empreintes retrouvées dans les terrains ordoviciens ont été interprétées comme les traces laissées par Cryptolithus lorsqu'il s'alimentait [4]. Elles ont la forme d'un fer à cheval avec deux sillons qui flanquaient un petit relief central. Les deux sillons parallèles ont été creusés par l'activité des pattes, les endopodites grattaient le sédiment et le courant d'eau provoqué par l'agitation des exopodites éliminait les particules forcément vers l'arrière.

Simuler les courants d'eau

A défaut de pouvoir observer un animal en train de se nourrir, il est possible d'avoir recours à des simulations. De nombreux logiciels permettent de simuler les mouvements d'eau autour d'un modèle en trois dimensions et ils ont été utilisés à plusieurs reprises par des paléontologues. [6] [7] [8] [9] [10] [11]

Une reconstitution en 3 D de Cryptolithus sur un terrier d'alimentation a été réalisée à partir de différentes sources [1][12]. Puis un modèle de circulation d'eau a été calculé grâce au module Flow Simulation du logiciel SolidWorks.

Simulation de courants d'eau à la face inférieure de Cryptolithus sur un terrier d'alimentation.
A-Direction et vitesse des courants dans un plan horizontal passant par l'hypostome.
B-Origine des courants, en bleu: mouvement des exopodites du thorax et du pygidium, en vert: mouvement des paires d'exopodites 2 à 4, mauve: mouvement des paires d'exopodites 1, en rouge: courant d'eau se dirigeant vers la bouche.
1-bouche, 2-hypostome, 3-exopodite du thorax et du pygidium, 4-quatre premières paires d'exopodites, 5-céphalon, 6-thorax et pygidium.

Les paramètres du modèle supposent que le mouvement des exopodites du thorax et du pygidium entretient un mouvement d'eau de l'avant vers l'arrière de l'animal. Cependant un courant d'eau dirigé en sens inverse apparaît dans la cavité formée par les paires d'exopodites 2 à 4 et deux tourbillons se forment à la limite entre le céphalon et le thorax. L'agitation des 4 premières paires d'exopodites accélère la circulation de l'eau jusqu'à la bouche.

Ces courants d'eau permettaient-ils à l'animal de se nourrir?

Simulation de la trajectoire de deux types de particules.
Particules organiques (densité 1,008 diamétre 270 µm): tubes épais bleus.
Particules minérales (densité 2,6 diamétre 70 µm): tubes minces marrons.
Flèches rouges: courants d'eau se dirigeant vers la bouche
. A gauche, l'animal est dans un terrier d'alimentation ; à droite, il est sur un sol lisse avant le creusement du terrier. Les tourbillons sous l'animal se forment pour des orientations différentes de l'abdomen. On voit que seules les particules organiques (bleues) se soulèvent et sont prises en charge par les courants d'eau provoqués par les mouvements des appendices du céphalon et l'aspiration de la bouche.

Pour répondre à cette question, étudions la trajectoire de deux types de particules. Les unes organiques, ont une densité de 1,008 et un diamètre de 270 µm et les autres minérales, ont une densité de 2,6 et un diamètre de 70 µm. Ces particules sont arrachées à la surface du sédiment par les endopodites des pattes. La simulation montre qu'elles se déplacent différemment dans les courants qui naissent sous l'animal. Les deux tourbillons ne soulèvent que les particules organiques qui sont ensuite prises en charge par le courant d'eau qui va jusqu'à la bouche. Elles sont ainsi séparées des particules minérales qui circulent, elles, près de la surface. Les particules sont éjectées à l'arrière de l'animal et les deux sillons parallèles des empreintes fossiles se forment alors. Les particules organiques qui avaient été extraites du sédiment mais qui n'avaient pas été dirigées vers le bouche devaient finir coincées contre les filaments des larges exopodites deux à quatre. Étaient-elles raclées puis portées à la bouche par un dispositif qui nous est inconnu ou remises en circulation par l’agitation des exopodites pour enrichir les tourbillons ? La simulation ne permet pas de répondre à ces questions.

Le rôle du crible du céphalon

Vitesse de la circulation de l'eau dans les orifices du crible de Cryptolithus dans différentes situations.
A-Dans un terrier d'alimentation,
B-Sur un sol lisse, les tourbillons ne se sont pas formés,
C-Sur un sol lisse, l'abdomen a été abaissé et les tourbillons se sont formés,
D-Sur un sol lisse et avec un courant marin nord-ouest circulant à 0,1 m.s-1.

Vu la faible quantité d'eau qui passait par le crible il n'intervenait pas dans l'alimentation, mais alors à quoi pouvait-il servir? En 1975, Campbell [4] a supposé qu'il était utilisé pour détecter les courants. La section des trous est profilée pour optimiser le passage de l'eau et son profil en double entonnoir augmente fortement la vitesse du liquide dans sa partie la plus étroite par effet Venturi. Chaque orifice joue le rôle d'un amplificateur de vitesse du courant. Des mécano-récepteurs judicieusement placés dans ces cavités pouvaient détecter cette vitesse amplifiée. Une étude détaillée des résultats des simulations permet d'étayer cette hypothèse. Les vitesses sont amplifiées dans les cavités mais de manière différente suivant leurs positions et suivant les conditions extérieures. Cette batterie de capteurs disposés à 180° permettait à l'animal de connaître la direction et la vitesse du courant mais aussi la différence de vitesse entre le courant d'eau extérieur et le courant d'eau entretenu sous le céphalon par les battements des exopodites des pattes. De la sorte, l'animal pouvait adapter la vitesse de battement des exopodites aux conditions extérieures et se positionner face au courant.

L'agitation des appendices du thorax et du pygidium (1) provoque des courants d'eau vers l'arrière (2) mais aussi vers l'avant sous le céphalon (3). Les particules alimentaires qui ont une faible densité sont entraînées dans les deux tourbillons qui se forment à la limite entre thorax et céphalon(4) ce qui les extrait et sépare des particules minérales du sédiment. Elles sont amenées jusqu'à la bouche (5). A : courant marin, B : courants provoqués par l'agitation des appendices, C : mouvement des particules alimentaires.

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créée le : 15-03-2017     mise à jour le : 11-03-2018     332 visites depuis le 3/08/2021
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