La datation moléculaire
Dans les années soixante, on a déterminé la séquence en acides aminés de l'αhémoglobine humaine puis celle de quelques espèces animales. En 1965, Zucckerland et Pauling ont eu l'idée de les comparer à l' αhémoglobine humaine. Ils ont constaté que le nombre d'acides aminés différents est d'autant plus élevé que l'espèce est un parent éloigné de l'espèce humaine. Il existe une relation linéaire entre la proportion d'acides aminés substitués et l'âge de l'ancêtre commun espèce / Homme. Cette observation est à la base de la notion d'horloge moléculaire et de la datation moléculaire.
Tout se passe comme si les deux lignées avaient accumulé des mutations régulièrement au cours du temps et indépendamment l'une de l'autre. On disposait donc d'une horloge ayant enregistré le temps écoulé depuis la séparation de l'ancêtre commun.
L'idée vint ensuite d'utiliser cette horloge pour dater l'apparition d'un ancêtre commun sans utiliser les archives fossiles. Imaginons que nous ignorions la date d'apparition de l'ancêtre commun Requin/Homme. Nous connaissons par contre grâce aux archives fossiles les dates d'apparition des ancêtres communs Vache/Homme, Poulet/Homme et Carpe Homme. Nous allons utiliser ces données pour tracer la droite "proportion d'acides aminés substitués" en fonction de "l'âge de l'ancêtre commun". C'est la phase de calibration de l'horloge biologique.
Une fois l'horloge calibrée nous allons extrapoler la droite en la traçant au delà du point Carpe/Homme. En utilisant la proportion d'acides aminés substitués entre Requin et Homme (0.8), il est possible de déterminer la date d'apparition de l'ancêtre commun (450 millions d'années). Voilà exposé très simplement le principe de la datation moléculaire.
La réalité est moins simple. Depuis les travaux des pionniers, on s'est aperçu que :
- L'horloge ne fonctionnait pas à la même vitesse chez toutes les protéines. Celle du cytochrone C fonctionne 4 fois moins vite que celle de l'hémoglobine. L'hémoglobine n'existant que chez les Vertébrés on ne pourra pas extrapoler le calibrage de son horloge à une autre protéine n'existant par exemple que chez les Mollusques.
- On a également montré que l'horloge d'une même protéine ne fonctionnait pas à la même vitesse dans toutes les lignés descendant d'un même ancêtre commun. Il semble en particulier qu'elle fonctionne plus lentement chez les Vertébrés.
- Les datations paléontologiques sont entachées d'une certaine erreur et évoluent en fonction des découvertes. Par exemple l'interprétation de Kimberella comme proche parent des Mollusques peut amener à recalibrer les horloges des protéines de Mollusques de -530 à -560 millions d'années.
Pour contourner ces difficultés les travaux récents portent sur un grand nombre de protéines prises chez un grand nombre d'êtres vivants appartenant à des lignées aussi différentes que possible. Des programmes informatiques sophistiqués permettent de repérer les décalages dans les vitesses des horloges et de les corriger.
Depuis une dizaine d'années les publications sur le sujet se sont multipliées au rythme des découvertes du génomes des êtres vivants.
Les arbres phylogénétiques ci-dessus ont été simplifiés de manière à ne conserver que les noeuds suivants :
1 - ancêtre commun des Opisthochontes (Métazoaires et Champignons)
2 - ancêtre commun des Métazoaires.
3 - ancêtre commun des Bilatéraliens.
A - d'aprés Hedges et al, 2004 (64 protéines, calibration : Vertébrés) ;
B - d'aprés Douzery et al, 2004 (129 proteines, calibration : Végétaux, Champignons, Vertébrés, Arthropodes) ;
C - d'aprés Petersen et al, 2005 (7 proteines, calibration : Insectes, Echinodermes, Mollusques).
La figure ci-dessus montre les grandes variations qui existent entre plusieurs datations moléculaires. En calibrant sur des Vertébrés, la datation A surestime sans doute les dates des différents nœuds. Il existe cependant un hiatus entre datation moléculaire et paléontologie. Avant l'Ediacarien, il n'y a aucun fossile incontestable de Métazoaires. Les Horodyskia, Pararenicola et autres Sinosabellidites trouvés entre -600 millions d'années et - 1500 millions d'années ont tous vu leur statut de Métazoaires remis en cause. Les datations moléculaires sont-elles totalement fausses? Probablement pas, les Métazoaires ont certainement une histoire avant l'Ediacarien. Peut-être étaient-ils de petite taille et occupaient-ils un milieu qui ne donne pas facilement lieu à la fossilisation. On peut les imaginer pélagiques ou installés près des sources thermales océaniques.