Le biotope "Avalon"
L'extraordinaire richesse en fossiles des couches protérozoïques de la Péninsule d'Avalon à l'est du Canada a permis à G. Narbonne et son équipe de faire une étude paléoécologique très détaillée des communautés benthiques qui vivaient sur le talus continental à plus de 200 m de profondeur entre 565 et 575 millions d'années.
Les stations de mesures (repérées de A à G) sont réparties sur une épaisseur de 2200 mètres de sédiments. Les surfaces étudiées varient entre 0,7 et 105 m2 et portent entre 106 et 4188 fossiles. Le sédiment vaseux a enregistré des détails de l'ordre du millimètre.
Situés sur le littoral, les affleurements dégagés par la mer se présentent sous forme de grandes dalles portant des centaines voir des milliers de fossiles ensevelis sous des cendres volcaniques. Tous les fossiles sont des organismes fixés et à corps mous restés en place après leur mort. Chaque couche constitue un instantané des communautés benthiques vivant alors sur le fond. Cela permet de réaliser des mesures identiques à celles que l'on applique aux communautés actuelles (diversité, abondance, richesse spécifique, compétition...)
Les espèces présentes sont différentes d'une station à l'autre mais on peut établir des ressemblances (ou similarité) entre stations. Ces ressemblances ne s'expliquent pas par un phénomène évolutif puisque 2 stations proches stratigraphiquement (D et E) se ressemblent moins que 2 stations éloignées (D et G). Les conditions écologiques étant restées les mêmes pendant 10 millions d'années, il faut trouver un autre élément explicatif.
Divers Rangeomorphes sur une plaque de schiste, en particulier des frondes de Charniodiscus, échelle 2 cm , Mistaken Point Formation. (Narbonne, 2005)
Le diagramme de similarité exprime la ressemblance entre les stations. Deux stations qui se ressemblent beaucoup sont sur la même branche de l'arbre.
Le diagramme de similarité ci-dessus montre que les 3 stations B, D et G se ressemblent, elles ont une richesse spécifique faible et une densité élevée. Les autres stations ont des densités plus faible et une richesse spécifique plus élevée. Ceci s'interprète en considérant que les différentes stations constituent une succession écologique, c'est à dire les différentes étapes de la colonisation du milieu par les êtres vivants.
Stade 1 : stations D, B et G | Stade 2 : stations E, F et A | Stade 3 : station C | |
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Richesse spécifique | 4 à 8 | 3 à 12 | 11 |
Densité | 8 à 150 individus/ m2 | 23 à 40 individus/ m2 | 22 individus/ m2 |
Comme actuellement, le talus continental était régulièrement balayé par des avalanches sous marines (turbidites) qui détruisaient la faune. Les animaux repeuplaient le milieu dans un ordre précis.
Au stade 1, quelques espèces pionnières comme les "peignes" colonisaient le milieu. Certaines se mettaient à pulluler. Les "broches" par exemple peuvent avoir une densité de 100 individus au mètre carré. Ce qui est énorme pour une espèce qui pouvait atteindre 5 cm.
Au stade2, la densité diminuait tandis que la richesse spécifique augmentait. Des espèces de petite taille ou dont le corps était plaqué sur le fond s'installaient les premières. Des espèces ou des individus de plus grande taille venaient ensuite. Finalement des espèces de grande dimension en forme de plume colonisaient le milieu.
Au stade 3 la stratification en taille des individus permettait une exploitation optimale du milieu en diminuant la compétition inter et intraspècifique. Les communautés benthiques du Protérozoïque avaient donc une dynamique des populations semblable à celles communautés actuelles.
Comparaison des paramètres écologiques des communautés d'Avalon et des communautés actuelles (valeurs extrêmes en tiretets).
Richesse spécifique : nombre d'espèces
Densité :nombre d'individus/m2
Diversité spécifique : l'indice dit de Shannon intègre l'abondance relative des différentes espèces. Il augmente lorsque les espèces ont des abondances relatives proches et diminue lorsque une ou plusieurs espèces dominent.
D'après Clapham et al. 2003
Les communautés de la péninsule d'Avalon sont tout à fait comparables à leurs homologues actuelles même si les valeurs de la richesse et de la diversité spécifique sont dans un registre plutôt bas. Les valeurs de la densité ne sont plus élevées que dans une seule station dont on a vu précédemment qu'elle serait un stade pionnier.
Même si ces paramètres écologiques montrent des similitudes troublantes, les communautés du talus continental fonctionnaient différemment. On n'a retrouvé aucune trace de prédation sur les fossiles. Il y a 570 millions d'années, les réseaux trophiques étaient plus simples et plus courts. Dans cet écosystème sans lumière, la base de la pyramide était occupée par des bactéries décomposant les débris organiques tombant des couches supérieures. Avec les Eucaryotes unicellulaires qui les consommaient, elles constituaient un film recouvrant le sédiment. Ce film était consommé par des détritivores comme les "broches".
Les Rangéomorphes filtreurs (Charnia, Charniodiscus, "plumeaux", "peignes"), majoritaires dans le milieu, absorbaient les particules organiques transportées par le courant. Cet écosystème dit "ouvert" ne comprenait pas d'autotrophes. Il était dépendant du phytoplancton de la surface des océans l'alimentant de ses cadavres.
On peut imaginer d'autres scénari comme un réseau trophique basé sur la chimioautotrophie. L'oxydation du soufre ou de l'ammoniac, alors trés abondant dans les océans, aurait fourni l'énergie nécessaire à la synthèse de matière organique à partir du dioxyde de carbone. Dans cette hypothèse tous les Métazoaires pouvaient héberger des bactéries chimioautotrophes symbiotiques. Leur subsistance ne dépendait que de l'absorption d'ammoniac, de soufre réduit (H2S) et de dioxygène. A partir de ces matières premières les bactéries symbiotiques fournissaient les substances organiques nécessaires au métabolisme du Rangéomorphe. La teneur en oxygène des océans étaient alors bien inférieur à la teneur actuelle et il est probable que beaucoup d'êtres vivants avaient un métabolisme anaérobie.